Pour une approche stratégique du bien commun
1998
Dans cet article, l’auteur propose d’appréhender la prise en charge des biens communs, tels que la gestion du vivant, avec de nouvelles approches qui visent à organiser la négociation autour des attentes multiples des acteurs concernés.
Un certain nombre de signaux montrent que notre façon d’agir ensemble nous rend incapables de traiter certaines réalités. Nous ne savons pas gérer la qualité des eaux souterraines en Alsace, ni la qualité de l’eau d’un bassin versant. Nous ne savons agir que par la contrainte, par l’interdiction. Mais chacun a de telles marges de liberté et de non implication vis-à-vis d’une norme, quelle qu’elle soft, que ce système de contraintes peut être parfaitement inefficace pour gérer des réalités comme la qualité de l’eau, la qualité de la vie. Les acteurs ne s’impliquent que s’ils en ont envie dans une action qu’ils jugent légitime et efficace. Ainsi, dans le secteur des entreprises, la gestion de la qualité a évolué. Il y a 30 ans, la demande de produits était telle qu’une entreprise pouvait être un « offreur systématique » et imposer aux clients sa conception de la qualité. Les gens étaient contents d’avoir une 2 CV, même s’il fallait attendre 3 ans. Par la suite, un autre équilibre entre l’offre et la demande s’est établi. Les consommateurs ont alors voulu une amélioration du produit. Puis de nouveaux acteurs se sont imposés dans la conception de la qualité du produit : les salariés, les écologistes étudiant l’impact de l’entreprise sur l’environnement, l’actionnaire se demandant si le profit serait durable, etc.
L’entreprise, d’acteur strictement productif, est aujourd’hui tenue de devenir beaucoup plus stratégique. Elle doit mobiliser ses hommes. Elle ne peut plus avoir 5% de gens « intelligents » et 95% « d’exécutants ». Elle a besoin de l’intelligence de tous. Et cette intelligence ne se libère que par la libre adhésion. La mobiliser suppose énormément de savoir, de précautions. La qualité s’impose aujourd’hui comme un bien commun qui requiert une approche stratégique.
Les territoires sont l’objet d’offres et de demandes de qualité. Pour Henry Ollagnon, on ne peut vraiment négocier que lorsqu’on est à la fois offreur et demandeur de qualité. Si le monde rural n’est que le lieu d’un marchandage entre zones et fonctions, il sera dépouillé parce qu’il ne représente que 10% de la population. Si par contre, chacun se sent à la fois offreur et demandeur d’une qualité, par exemple de la santé humaine et de l’épanouissement de l’homme, alors des négociations peuvent s’engager. C’est ce qui se passe en Haut Béarn ou à Olmanie (Biélorussie).
Pour engager ce processus, on peut mobiliser les ressorts patrimoniaux que chacun a en lui. Si à l’intérieur de l’entreprise, il n’y a pas un minimum d’intérêt commun, si le salarié ne se sent pas acteur du succès financier de l’entreprise, on ne pourra ni en parler avec lui, ni mobiliser son adhésion.
Engager de telles négociations nécessite une approche stratégique. Nous avons cru que nous pourrions prendre tous les problèmes en charge dans le cadre privé ou dans le cadre public. Mais certains éléments ne peuvent être gérés dans leur globalité ni dans l’un, ni dans l’autre cadre. L’administration doit administrer sous régulation politique, les chefs d’entreprises doivent travailler dans le cadre de la propriété privée. Par contre, d’autres enjeux, qui relèvent du bien commun comme la gestion du vivant nécessitent d’engager des négociations stratégiques dans un cadre contractuel nouveau.
Henry Ollagnon conclut : « nous constatons l’émergence de nouvelles attentes stratégiques à satisfaire. Il faut donc construire un juste équilibre entre les modes de négociation classique et ceux de la négociation coopérative. Cela suppose la mise en place de nouvelles approches, la création de nouveaux métiers pour traiter les problèmes du vivant. Des outils existent pour cela ».