La subsidiarité est un atout pour la gestion des territoires
2000
Dans cet article, l’auteur revient sur l’organisation de son territoire en intercommunalité. Avant d’être une question d’organisation, il s’agit avant tout de faire émerger un projet de territoire qui permette d’agir ensemble et de répondre à de nouveaux enjeux (tourisme, gestion des déchets) pour maintenir in fine le développement économique et la vitalité des communes tout en préservant une forte capacité de décision et d’action des élus locaux.
Nous avons créé la communauté de communes de Thiérache du centre en décembre 1992 pour essayer de lutter contre le dépérissement, en profitant de la loi du 6 février 1992 dans ce qu’elle avait de positif. Si elle a été parmi les premières créées en France c’est que nous étions dans un milieu rural homogène. Cela a indéniablement facilité les choses.
Les 68 communes ont transféré à la communauté de communes les deux compétences obligatoires (aménagement de l’espace et développement économique), la compétence études d’assainissement et la compétence environnement. Il était évident que ces 68 communes ne pouvaient pas, en restant isolées, répondre aux demandes de plus en plus pressentes de la population. Au début, certains maires ont eu peur d’être avalés par la communauté de communes. J’étais convaincu que si nous ne faisions rien, nos communes disparaîtraient et que la communauté de communes était une chance à saisir dans la mesure où, ensemble, nous pourrions probablement réaliser un certain nombre d’actions pour lutter contre le dépérissement. Notre objectif était et est toujours d’organiser une véritable coopération entre les communes, pour améliorer la qualité de la vie de la population, dans le cadre d’un projet de territoire. Il ne s’agit en aucun cas d’en faire une « super commune ». Nous avons donc pensé et créé la communauté de communes dans l’esprit suivant : nous conservons au niveau des communes nos compétences et nous transférons uniquement à ce niveau supplémentaire celles que nous ne pouvons pas assumer au mieux de l’intérêt des habitants ; niveau supplémentaire dans lequel nous intervenons activement.
Le projet de territoire est à la base du travail réalisé en commun.
Sa préparation a été l’occasion d’une réflexion pour définir des objectifs à partir des besoins des hommes sur le territoire. De nombreuses réunions ont été organisées par commune et par activité économique : avec les commerçants, les artisans, les agriculteurs. Nous avons ainsi établi une liste de tout ce qu’il y avait à faire pour l’habitat, la mise en place de zones d’activités économiques, la gestion des ruines dans certaines communes, les façades en mauvais état, l’entretien des chemins ruraux, etc.
La communauté de communes est un établissement public à fiscalité propre. Cette latitude financière permet de mener à bien un certain nombre de projets. Par ailleurs, nous bénéficions d’un soutien de la région qui finance des postes de chargés de mission de communautés de communes, ce qui soulage les contribuables.
C’est un bureau de 32 délégués, 8 par canton, qui organise et gère la communauté de communes. Les conseillers généraux en sont automatiquement membres. Un bureau de 32 membres n’est pas très facile à manier mais il garantit la représentation de toutes les communes. Les délégués communaux à la communauté de communes sont au nombre de 132, 1 pour 300 habitants.
La communauté de communes remplit son office. Mais, nous avons vite réalisé qu’avec 29 000 habitants, nous ne pouvions pas gérer certaines actions. Par exemple, l’Oise traverse la communauté de Thiérache du centre, mais également d’autres communautés. Il était évident que nous devions agir ensemble pour engager des actions touristiques autour de cette rivière, comme la construction d’embarcadères pour le canoë kayak. Même constat pour organiser un circuit touristique des 67 églises fortifiées, actuellement en cours de réalisation, et attirer les Lillois, les Hollandais. Or, nous avions l’expérience d’un syndicat mixte de Thiérache créé en 1972. Nous avions donc pris l’habitude de travailler ensemble.
Les communautés de communes se mettant en place, après bien des discussions, nous avons considéré qu’il fallait fédérer les communautés de communes de toute la zone pour faire ensemble, dans le cadre du syndicat mixte, ce que chacune ne pouvait faire seule ou indépendamment des autres. Depuis, le pays de Thiérache a été constitué et récemment officialisé par un arrêté préfectoral. Concrètement le pays est la fédération des 5 communautés de communes qui le constituent. Nous ne voulions pas disposer d’une structure administrative supplémentaire (il est évident que nous en avons suffisamment) mais bien répondre aux besoins de ceux qui habitent ce pays, qui partagent un certain état d’esprit. Ce pays a indiscutablement une identité. Ainsi, il s’est avéré que les projets de territoire des communautés de communes concernées étaient très cohérents les uns avec les autres. Ils avaient les mêmes objectifs.
Un exemple : nous avions mis en place dans toutes les communes le ramassage des ordures ménagères. Pour passer au ramassage sélectif et donc renégocier tous les contrats avec des entreprises devenues considérables, les communes, seules, ne pouvaient pas faire le poids. C’est une des raisons qui nous a poussé à nous regrouper en communauté de communes. Aujourd’hui, le taux de prélèvement relatif aux ordures ménagères de la communauté de communes est bien inférieur à ce qui existait dans les communes.
Une fois le ramassage sélectif mis en place, s’est posé le problème du centre de tri. 29 000 habitants ne permettent pas d’amortir un centre de tri. C’est donc au niveau du pays, avec ses 85 000 habitants, que le centre de tri est géré. Cela va nous permettre de bénéficier de possibilités financières qui viendront en déduction des impôts individuels.
Un objectif : le développement économique
C’est dans ce but que les gens se sont engagés, pour permettre aux jeunes de rester.
Nous avons voulu créer des zones d’activités économiques. C’est un travail de longue haleine. Il a fallu revoir les POS, placer ces zones de telle sorte qu’elles soient utilisables même par temps de gel, etc. Nous avions deux atouts au départ : dans un rayon d’une heure de route, se trouvent Valenciennes ou Charleville avec des usines importantes qui travaillent en flux tendu. Il est donc tout à fait envisageable que leurs sous-traitants s’installent dans notre zone. D’ailleurs, dans un des cantons, de petites usines de sous-traitance travaillent déjà pour l’industrie automobile. Notre second atout est une main d’œuvre très sérieuse en Thiérache.
Mais, actuellement, notre principal problème est d’éviter le départ de certaines usines. C’est le cas d’un important atelier Poulet du Nord qui employait une centaine de personnes. La direction voulait regrouper les ateliers. Or, les employés s’étaient installés en Thiérache, avaient construit leurs maisons. La communauté de communes est parvenue à réinstaller une partie de l’atelier en question sur une de ses zones d’activité. Il est tout récent, aux normes européennes de l’agroalimentaire. Nous n’avons pas pu sauver les 100 emplois, mais nous en avons sauvé 25. Tout cela n’est pas très simple, nécessite beaucoup de temps. Nous avons donc mis en place rapidement une série d’actions pour que les habitants voient ce que pouvait leur apporter la communauté de communes.
Toutes les maisons sont en briques, mais recouvertes de crépis divers. L’ensemble est assez laid. Nous avons lancé une opération » façades « , en partenariat avec les Chambres consulaires, les Bâtiments de France, etc. Nous avons obtenu des subventions de l’Association pour le développement de l’Aisne auxquelles se rajoute une aide de la communauté de communes. Cette opération a influencé les mentalités de façon extraordinaire. Les habitants ont pris conscience qu’ils avaient, dans leurs villages, un patrimoine bâti qui méritait d’être mis en valeur. D’autre part, cette action a fait travailler les artisans.
La communauté de communes a mis en place l’association Tac-Tic dans laquelle elle est largement représentée. Nous l’avons chargée de travailler en particulier à la résorption des ruines. Il est en effet illusoire de vouloir attirer des gens dans un village dont certaines maisons sont en ruine. Une vingtaine de jeunes travaillent pour Tac-Tic dans le cadre de chantiers d’insertion. La communauté de communes a investi dans le gros matériel. L’association Tac-Tic démolit les ruines, récupère les vieux matériaux et les revend, ce qui permet pratiquement d’équilibrer son budget.
Des communes qui conservent leurs responsabilités
La loi dite Chevènement de réforme de l’intercommunalité a été votée le 12 juillet dernier. Les pouvoirs de l’intercommunalité s’en trouvent renforcés. Certains peuvent interpréter cela comme une restriction des attributions de la commune elle-même.
En Thiérache, nous attendons de voir comment cette loi va se concrétiser sur le terrain. Mais, une chose est sûre : nous souhaitons que les communes conservent leurs responsabilités. C’est une question d’organisation de l’intercommunalité. Par exemple, l’assainissement est un gros problème pour nos communes. C’est donc la communauté de communes qui gère la réalisation des études. Elles ont été menées dans toutes les communes. A la suite de quoi, le conseil municipal a du prendre une décision à propos du projet de zonage d’assainissement avec ses conséquences pour la commune. A Leschelles, il a, à l’unanimité, renvoyé le bureau d’études à ses chères études. Nous avons refusé son travail que nous considérions mal fait. Le plan de zonage a donc été refait, puis accepté. Pour ce qui est de la mise en œuvre, c’est l’incertitude car ce plan pose de gros problèmes financiers et techniques à cause de l’habitat dispersé.
En tout cas, la commune n’a pas perdu la possibilité de prendre position.
Beaucoup évoquent l’élection au suffrage direct des représentants des communes à l’intercommunalité. Je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée. Il a fallu des années pour que les gens prennent en compte la Région. Un nouveau suffrage compliquerait encore les choses. Et puis, cette élection poserait la question de la réalité de la vie communale à terme. Avec un tel suffrage, quel serait la place de la commune dans l’intercommunalité ? Si on veut véritablement faire vivre la coopération intercommunale, c’est aux conseillers municipaux d’élire, en leur sein, les délégués à l’intercommunalité. Si au bout de leur mandat de 6 ans, ils n’ont pas rempli leur mission, ils sont remplacés.
Ma plus grande crainte c’est que ceux qui votent des lois ne créent des communes de 3000 habitants. Cela impliquerait la création d’un corps de fonctionnaires certainement plus compétents que ne peuvent l’être des maires de petites communes rurales. Mais dans cette hypothèse, je ne sais pas comment pourra vivre la démocratie. La commune est une école de démocratie. Les gens y règlent des problèmes à leur niveau ; problèmes qui ne peuvent pas être réglés de manière satisfaisante par des fonctionnaires qui se trouvent à un niveau supérieur.
Des élus au service des habitants
La question du « verrouillage » du territoire par les élus dans le but de l’aménager d’une part et de s’y faire élire d’autre part est souvent évoquée comme un frein au développement local. Elle ne se pose pas en Thiérache. D’une part, le périmètre du pays de Thiérache n’est pas le même que celui de la circonscription du député. Et surtout, que ce soit dans le cadre du syndicat mixte, de la communauté de communes ou du pays, c’est notre volonté de régler les problèmes des habitants et de laisser les questions politiques de côté qui nous a rassemblée. Nous avons ainsi eu successivement des présidents RPR et socialistes. Il est un fait que si cet état d’esprit changeait, il y aurait effectivement des problèmes.
Pour préserver la démocratie locale
Si la nécessité de l’échelon intercommunal ne peut être remise en cause, il est essentiel de veiller à ce qu’il n’handicape pas la démocratie locale. Se pose là un problème important d’information.
Nous distribuons un journal 2 ou 3 fois par an dans les foyers des 29 000 habitants. Nous y avons présenté la communauté de communes, l’opération « façades », les projets d’animation culturelle, etc. C’est capital.
Par ailleurs, nous avons toujours cherché à mobiliser le plus grand nombre de gens possible. C’est pour cela que les délégués communaux à la communauté de communes sont au nombre de 132. Pour que chaque commune puisse être représentée et que l’information circule correctement, il fallait avoir un délégué pour 300 habitants. D’ailleurs, suite au récent recensement, nous envisageons de modifier ce ratio pour que ce système continue à fonctionner.
Enfin, dans le cadre du syndicat mixte, pendant des années, nous avons travaillé avec les socioprofessionnels, les associations, etc. Cette habitude de travail va nous aider à constituer et faire vivre le conseil de développement du pays.
La communauté de communes de Thiérache du centre a 7 ans. Il nous reste encore beaucoup à faire, mais nous devions d’abord nous mettre en marche. Je ferais volontiers ma devise de cette phrase d’Oscar Wilde : « il faut d’abord continuer et puis ensuite commencer ».