Le lien entre finance et territoire est devenu un sujet de préoccupation majeure ces dernières années. Depuis la crise des subprimes en 2007 et la faillite de Lehman Brothers en 2008, les crises s’enchaînent par rebonds successifs, toujours plus importantes, toujours plus violentes, des marchés aux banques, des banques aux Etats, des Etats aux sociétés. Il faut bien l’avouer, la plupart d’entre nous découvrent une machine devenue infernale : une finance satellisée par rapport au monde réel ; on parle désormais d’un rapport de 1 à 10 entre l’économie financière et l’économie réelle.
L’effroi est d’autant plus fort que les solutions apportées semblent chaque fois insuffisantes ou timorées : nous assistons à un enchaînement des plans de sauvetage en Europe sans forcément voir le bout du tunnel et au-delà des discours, on peut effectivement s’interroger sur notre capacité à réguler la finance à l’échelle mondiale.
Dans ce contexte, les territoires, en particulier les territoires ruraux, risquent bien d’être emportés par ses ouragans financiers. D’abord, peut-être, parce que la ressource « terre » devenant une denrée rare sur notre planète, ils pourraient devenir des actifs attractifs pour les spéculations financières.
221 millions d’hectares de terres auraient déjà été acquis par des fonds d’investissement depuis 2011 soit 15 % de la surface cultivée dans le monde. Ensuite parce que les marchés agricoles financiarisés fragilisent globalement l’économie agricole. Ayons pour exemple ce chiffre en tête, 200 fois la production annuelle de blé s’échangerait aujourd’hui sur les marchés financiers. Enfin, parce que, pour rester compétitive, les activités économiques chercheront à s’agglomérer pour trouver des économies d’échelle ou chercher des synergies, bref à aller dans les métropoles urbaines. Or, la finance est nécessaire à l’économie pour, notamment, fournir de la trésorerie, couvrir les
risques, financer le capital de départ. Alors peut-il y avoir d’autres chemins possibles ? Sommes nous définitivement montés dans un train lancé à grande vitesse, désormais sans réel conducteur, et qui nous dirige vers un précipice ?
Nos 21èmes Assises, le 4 octobre dernier, ont cherché à montrer des voies porteuses d’avenir, nouvelles ou plus anciennes, où le couple finance et territoire reprend du crédit. Je vous invite alors à découvrir ou redécouvrir les exposés et témoignages de cette journée sur notre site Internet.
Nous vous proposons dans cette Lettre de prolonger le débat et de pouvoir apprécier les points de vue d’auteurs et d’acteurs du monde de la finance et des territoires tels que Frédéric Lobez, professeur à l’Université Lille 2, Amélie Artis, chercheuse à Science Po Grenoble, Wojtek Kalinowski, sociologue et historien de l’Institut Veblen et enfin Jean-François Laurain, Directeur Général Exécutif d’Unigrains.
Avec ce premier éditorial en tant que nouvelle Présidente de Sol et Civilisation, je souhaite également remercier de nouveau Michel Ledru qui, tout au long des 8 dernières années, a eu le sage souci de garder notre association ouverte aux hommes et aux idées.
Notre projet conserve dès lors toute son acuité : être un lieu indépendant de rencontres, de réflexions et d’intervention pour promouvoir et faciliter, depuis les milieux ruraux, un développement fondé sur le rôle de l’homme acteur des territoires et gestionnaire du vivant.
Dans ces temps de crises, ces moments où tout change, il convient de voir le monde différemment pour créer du nouveau.
Je reste convaincue que Sol & Civilisation, à son échelle, y contribuera.
Je vous souhaite une bonne lecture.
Anne-Claire Vial, présidente de Sol et Civilisation