1999
Dans cet éditorial, l’auteur propose de remettre le lien entre les hommes au cœur du projet de société, d’où l’importance de replacer les hommes, citoyens, élus ou chefs d’entreprise, en condition d’exercer leurs responsabilités vis-à-vis de la communauté…
La France va mieux nous disent les médias : le moral des ménages et leur tendance à consommer sont en hausse ! Mais, sur une part croissante du territoire, l’insécurité se développe, le nombre de suicides de jeunes ne cesse d’augmenter, le cortège des exclus économiques, des exclus scolaires grossit. Les actes de violence se multiplient, tout comme les procès en tout genre et à tout propos qui font de tout détenteur d’une parcelle de responsabilité un coupable potentiel de n’importe quel incident.
Sommes-nous vraiment incapables de prendre conscience que notre société évolue vers une forme déjà connue pour avoir généré ailleurs ce type de symptômes ? Est-ce vraiment cela que nous voulons ou ne sommes-nous capables que de la subir ?
Tout concourt à rompre les liens directs entre les hommes et c’est là la source du mal : les familles sont éparpillées, l’extrême spécialisation et donc le fractionnement caractérisent les activités professionnelles, le poids croissant des procédures cantonne les acteurs des territoires dans une dépendance vis à vis d’en hautes. La rationalité administrative se substitue partout au bon sens et à l’expérience de vie des hommes. La mort annoncée des communes n’en est-elle pas une illustration patente ? Comment oser parler de démocratie lorsqu’on en supprime la forme d’expression la plus basique et que se dilue la responsabilité des individus vis-à-vis de la communauté ? Aurait-on oublié que toute personne doit pouvoir s’assumer personnellement et se responsabiliser pour vivre en société ?
Il nous paraît essentiel de mettre en évidence qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il y a aussi d’autres voies que celle des solutions techniques à des problèmes qui ne le sont pas.
Ce numéro 11 de la Lettre vous présente des démarches qui visent à replacer les hommes, en tant que citoyens, élus ou chefs d’entreprise, en condition d’exercer leurs responsabilités vis à vis de la communauté ; en se mettant en position de négocier et de construire ensemble leur avenir, ils réussissent ce que ni chacun, ni l’Etat ne peut réaliser seul.
Je suis certain que c’est en facilitant ces démarches de gestion en bien commun, en libérant les énergies des hommes, que la facture sociale que tous déplorent sans jamais imaginer une autre solution que technique, se résorbera. C’est ainsi que nous recréerons les bases d’une démocratie réelle et vivante dans notre pays.
2000
Dans cet article, l’auteur livre son retour d’expérience sur la création et les premières années du parc naturel régional de Chartreuse (freins et leviers identifiés, choix d’organisation, outils mis en œuvre, premiers bilans) et soulignent quelques enseignements aux acteurs qui souhaitent porter ce type d’initiative.
Un Parc naturel régional (PNR) est un territoire habité, remarquable par sa culture, son patrimoine. Il est justiciable d’une Charte qui définit le projet de développement du territoire et sa stratégie. Le PNR de Chartreuse se trouve entre Grenoble au sud, Chambéry au nord et Voiron à l’ouest : les trois portes du Parc. C’est un territoire de moyenne montagne et de vallées où vivent 35000 personnes.
En Chartreuse, l’idée du Parc n’est pas née de la réflexion des élus, des responsables ou des acteurs du territoire. Au cours d’une réunion électorale des législatives de 1988, à la question « que faire de la Chartreuse ? », la réponse suivante a été apportée : « pourquoi pas un Parc ? ». […] Aujourd’hui, le Parc représente la Chartreuse. C’est une entité qui rassemble des gens qui ne se connaissaient pas du fait même de la géographie très accidentée du territoire. Pierre Baffert est persuadé que la stratégie choisie était la bonne. En effet, voilà 30 ans qu’il est élu, dont 18 ans en tant que maire. Il déplore souvent que la bulle des élus et la bulle des acteurs ne soient hermétiques. Pour lui, les politiques doivent se placer en facilitateurs des projets des acteurs qui ont un rôle énorme à jouer. « La vie est complexe. Il faut faire tourner la complexité » conclut-il.
2000
Dans cet article, l’auteur rappelle les liens historiques entre certification forestière et gestion durable des forêts, détaille l’émergence de cette notion en France et en Europe et son appropriation par les forestiers privés et acteurs de la filière bois à travers le système PEFC, qui se distingue de l’approche PFC.
Les forêts sont des milieux particuliers, caractérisés par la longueur des cycles de production : le forestier travaille pour son arrière-petit-enfant… Sans le moteur puissant de l’attachement à la terre et le sens patrimonial de leurs détenteurs, les forêts ne seraient que de vastes espaces improductifs, sans intérêt aucun pour les populations. Or les forêts produisent du bois et d’autres produits forestiers, certes. Ce sont aussi des lieux de détente et de récréation. Elles contribuent aux paysages et accueillent flore et faune. Elles protègent les sols, la qualité de l’eau. A l’échelle mondiale, elles contribuent à la lutte contre la désertification. Elles ont une fonction capitale en matière d’effet de serre et de capture du carbone atmosphérique…
Bref, les forêts sont au cœur des débats de sociétés actuels et ce d’autant plus qu’elles disparaissent à l’échelle de la planète. Il ne faut dès lors pas s’étonner que les forêts soient au cœur des grandes discussions internationales sur des sujets aussi divers que la désertification, la protection de la nature ou l’effet de serre ; qu’elles soient l’objet de toutes les convoitises, chacun cherchant à se les approprier pour en exploiter l’aspect qui l’intéresse le plus ; ou qu’elles soient l’objet de toutes les contestations, chacun voyant midi à sa porte.
Face à ces débats, la communauté internationale a réagi à partir de 1972, par des démarches au niveau onusien, puis paneuropéen. Peu à peu, l’idée de la codification de la gestion durable des forêts fait son chemin (avec la définition de critères, d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs…), sans que les résolutions prises n’aient de caractère contraignant.
L’idée de certification forestière est née lors de la conférence de Rio qui introduit un lien entre commerce et gestion durable, invitant plus ou moins directement les acteurs, et pas seulement les Etats, à se mobiliser afin d’introduire une discrimination et disqualifier ceux qui gèrent mal, au profit de ceux qui gèrent bien.
2000
Dans cet article, l’auteur présente l’expérience de la filière Comté et explique comment l’organisation des acteurs locaux favorise tout à la fois la sécurité économique de la filière, une démarche qualité vis à vis des productions, mais aussi une prise en compte plus fine de l’environnement et des demandes du consommateur.
La zone de production du Comté se situe à cheval sur les départements du Doubs et du Jura. Cette production se caractérise par le grand nombre de coopératives de fabrication, les fruitières, et par l’organisation ascendante de la filière.
En Comté, depuis longtemps, producteurs et affineurs ont réfléchi et jugé utile de s’organiser pour gérer au mieux un produit qui se vendait, et qui se vend toujours, bien. On impose souvent aux producteurs des mesures depuis Paris ou Bruxelles. Ici, c’est le terrain qui a alerté le national, en demandant qu’une interprofession soit créée pour défendre les intérêts d’un produit et des hommes qui en vivent. Le CIGC (Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté) a ainsi vu le jour en 1963 à la demande des producteurs et des affineurs.
Les producteurs de lait à Comté élèvent uniquement des vaches de la race Montbéliarde. Les conditions de production du Comté sont précises. Elles sont inscrites dans une Charte. Une vache laitière doit disposer d’un hectare de pâtures. L’ensilage est interdit. Les vaches doivent être nourries à 80% avec du foin. Ces contraintes ont leur intérêt : elles nous permettent d’occuper le territoire et de conserver la typicité du produit dans son goût. Sans elles, la zone serait beaucoup moins peuplée et plus boisée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Une organisation ascendante
La filière est organisée de la base vers le haut. Les producteurs, les représentants des coopératives et les industriels ont naturellement un poids important dans la gestion du devenir de l’AOC.
Au sein du CIGC, plusieurs commissions fonctionnent. L’aspect économique n’arrive qu’en 3ème position. Car avant de parler économie, il faut faire valoir le produit et informer les producteurs des conséquences de tels ou tels schémas de production, de telle ou telle décision. On ne traite qu’ensuite les questions économiques et techniques. Bien que la production du Comté soit très réglementée, les techniques de production, comme les complémentations de l’alimentation des vaches laitières, évoluent. Le CIGC produit donc un courrier saisonnier dans lequel les consignes techniques et les évolutions de la Charte liées à des aléas de production sont décrites.
Certes les producteurs respectent le cahier des charges mis en place par le CIGC, validé par l’Etat. Mais l’autodiscipline provient d’abord du respect mutuel entre producteurs qui se côtoient au sein des fruitières. Le premier souci d’un producteur de lait à Comté qui trait ses vaches est de produire un fromage consommable, bon et qui reflète sa région.
Au sein de la fruitière, nous faisons ensemble la paie du lait à la fin de chaque mois, en fonction du résultat des ventes des produits. Celui qui, autour de la table, est responsable d’une dérive quelconque de la fabrication fromagère, est la cause même d’une baisse de revenu des autres adhérents de la fruitière. L’autodiscipline joue pleinement !
Des conséquences positives pour la région
Je suis producteur coopérant dans une fruitière avec 6 autres agriculteurs. Ensemble, nous employons un fromager et son épouse. Pour valoriser le sérum, la fruitière a une porcherie avec 500 porcs à l’engrais. Nous créons de l’emploi et occupons le territoire. Ce schéma de production est typique des 191 fruitières. Les conditions de production du lait à Comté permettent ainsi de faire vivre des communes de 200 ou 300 habitants, autour et avec leur agriculture. Beaucoup d’agriculteurs font partie des conseils municipaux. Dans mon canton, la mise en œuvre de l’assainissement rencontre des freins. Au sein de notre fruitière, nous avons pris les devants et avons décidé de créer une mini-station d’épuration pour traiter les eaux usées de notre fromagerie. Les habitations environnantes en bénéficient. Nous avons assuré la plus grande partie du financement, avec quelques aides départementales et régionales. Nous avons fait valoir notre capacité à innover, à respecter notre environnement et avons mis ceux qui ont des responsabilités politiques au pied du mur.
Autre conséquence : la race montbéliarde est aujourd’hui reconnue au niveau mondial. Une filière parallèle à celle du Comté s’est développée qui elle-même crée de l’emploi.
Des producteurs à l’écoute de leur environnement
Nous avons tous intérêt, quel que soit le secteur dans lequel nous évoluons, à prendre en compte l’univers dans lequel nous vivons, à essayer de respecter la demande et les engagements des uns et des autres. Une organisation comme celle de la filière Comté le permet. Je souhaiterais pouvoir rencontrer n’importe quel autre citoyen français et lui dire : « je produis un produit noble, j’apprécie le produit du voisin et je suis aussi rassuré que le consommateur. » La logique du Comté, c’est aussi celle-là. Le CIGC est actuellement en pleine réflexion sur l’utilisation de produits contenant des OGM dans les compléments d’alimentation des troupeaux. Les producteurs y participent largement.
Depuis quelques mois, beaucoup de débats portent sur le prix des produits achetés par les consommateurs. Nous, producteurs de Comté, sommes un peu préservés de ces questions. En effet, depuis toujours, notre produit se négocie et se vend entre acteurs locaux. Nous n’avons pas directement affaire à la grande distribution. Notre ambition est d’accompagner le produit le plus loin possible pour le faire valoir. Car en restant maîtres de nos outils de production, de transformation et de commercialisation, nous nous préservons d’un risque d’intégration par certaines chaînes de distribution. Ce risque est réel.
Si nous avons réussi à nous adapter aux quotas laitiers en 1984, c’est qu’au sein du CIGC, nous avions réfléchi et prévu cette évolution. De la même façon, nous essayons de devancer la mise aux normes des ateliers de fabrication. Nous avons ainsi su sauvegarder notre authenticité que nous espérons faire valoir encore longtemps.
2000
La communauté de communes gère ce que les communes ne pourraient pas prendre en charge seules, au mieux de l’intérêt des habitants. Les communes conservent les autres compétences, leur autonomie. Elles participent toutes, du fait du mode de représentation choisi, à la vie de la communauté de communes.
Une volonté : servir les habitants
La subsidiarité en Thiérache
La communauté de communes gère ce que les communes ne pourraient pas prendre en charge seules, au mieux de l’intérêt des habitants. Les communes conservent les autres compétences, leur autonomie. Elles participent toutes, du fait du mode de représentation choisi, à la vie de la communauté de communes.
Le pays fédère les 5 communautés de communes de Thiérache pour mener à bien ce que chacune ne peut gérer au mieux de l’intérêt des habitants.
L’articulation entre les différents niveaux est le fruit de la diffusion d’informations et surtout du mode de représentation des communes.
Les avantages
Les services rendus aux habitants sont meilleurs pour une pression fiscale équivalente. Les projets sont gérés au niveau opportun.
Les communes, mêmes petites, continuent à vivre, à assumer leurs responsabilités. C’est un plus pour la démocratie locale.
L’état d’esprit des acteurs concernés, au service du bien commun du territoire, permet d’impulser le développement local et de maintenir la démocratie dans cette région rurale enclavée, dans un contexte de plus en plus complexe.
2000
Dans cet article, l’auteur revient sur l’organisation de son territoire en intercommunalité. Avant d’être une question d’organisation, il s’agit avant tout de faire émerger un projet de territoire qui permette d’agir ensemble et de répondre à de nouveaux enjeux (tourisme, gestion des déchets) pour maintenir in fine le développement économique et la vitalité des communes tout en préservant une forte capacité de décision et d’action des élus locaux.
Nous avons créé la communauté de communes de Thiérache du centre en décembre 1992 pour essayer de lutter contre le dépérissement, en profitant de la loi du 6 février 1992 dans ce qu’elle avait de positif. Si elle a été parmi les premières créées en France c’est que nous étions dans un milieu rural homogène. Cela a indéniablement facilité les choses.
Les 68 communes ont transféré à la communauté de communes les deux compétences obligatoires (aménagement de l’espace et développement économique), la compétence études d’assainissement et la compétence environnement. Il était évident que ces 68 communes ne pouvaient pas, en restant isolées, répondre aux demandes de plus en plus pressentes de la population. Au début, certains maires ont eu peur d’être avalés par la communauté de communes. J’étais convaincu que si nous ne faisions rien, nos communes disparaîtraient et que la communauté de communes était une chance à saisir dans la mesure où, ensemble, nous pourrions probablement réaliser un certain nombre d’actions pour lutter contre le dépérissement. Notre objectif était et est toujours d’organiser une véritable coopération entre les communes, pour améliorer la qualité de la vie de la population, dans le cadre d’un projet de territoire. Il ne s’agit en aucun cas d’en faire une « super commune ». Nous avons donc pensé et créé la communauté de communes dans l’esprit suivant : nous conservons au niveau des communes nos compétences et nous transférons uniquement à ce niveau supplémentaire celles que nous ne pouvons pas assumer au mieux de l’intérêt des habitants ; niveau supplémentaire dans lequel nous intervenons activement.
Le projet de territoire est à la base du travail réalisé en commun.
Sa préparation a été l’occasion d’une réflexion pour définir des objectifs à partir des besoins des hommes sur le territoire. De nombreuses réunions ont été organisées par commune et par activité économique : avec les commerçants, les artisans, les agriculteurs. Nous avons ainsi établi une liste de tout ce qu’il y avait à faire pour l’habitat, la mise en place de zones d’activités économiques, la gestion des ruines dans certaines communes, les façades en mauvais état, l’entretien des chemins ruraux, etc.
La communauté de communes est un établissement public à fiscalité propre. Cette latitude financière permet de mener à bien un certain nombre de projets. Par ailleurs, nous bénéficions d’un soutien de la région qui finance des postes de chargés de mission de communautés de communes, ce qui soulage les contribuables.
C’est un bureau de 32 délégués, 8 par canton, qui organise et gère la communauté de communes. Les conseillers généraux en sont automatiquement membres. Un bureau de 32 membres n’est pas très facile à manier mais il garantit la représentation de toutes les communes. Les délégués communaux à la communauté de communes sont au nombre de 132, 1 pour 300 habitants.
La communauté de communes remplit son office. Mais, nous avons vite réalisé qu’avec 29 000 habitants, nous ne pouvions pas gérer certaines actions. Par exemple, l’Oise traverse la communauté de Thiérache du centre, mais également d’autres communautés. Il était évident que nous devions agir ensemble pour engager des actions touristiques autour de cette rivière, comme la construction d’embarcadères pour le canoë kayak. Même constat pour organiser un circuit touristique des 67 églises fortifiées, actuellement en cours de réalisation, et attirer les Lillois, les Hollandais. Or, nous avions l’expérience d’un syndicat mixte de Thiérache créé en 1972. Nous avions donc pris l’habitude de travailler ensemble.
Les communautés de communes se mettant en place, après bien des discussions, nous avons considéré qu’il fallait fédérer les communautés de communes de toute la zone pour faire ensemble, dans le cadre du syndicat mixte, ce que chacune ne pouvait faire seule ou indépendamment des autres. Depuis, le pays de Thiérache a été constitué et récemment officialisé par un arrêté préfectoral. Concrètement le pays est la fédération des 5 communautés de communes qui le constituent. Nous ne voulions pas disposer d’une structure administrative supplémentaire (il est évident que nous en avons suffisamment) mais bien répondre aux besoins de ceux qui habitent ce pays, qui partagent un certain état d’esprit. Ce pays a indiscutablement une identité. Ainsi, il s’est avéré que les projets de territoire des communautés de communes concernées étaient très cohérents les uns avec les autres. Ils avaient les mêmes objectifs.
Un exemple : nous avions mis en place dans toutes les communes le ramassage des ordures ménagères. Pour passer au ramassage sélectif et donc renégocier tous les contrats avec des entreprises devenues considérables, les communes, seules, ne pouvaient pas faire le poids. C’est une des raisons qui nous a poussé à nous regrouper en communauté de communes. Aujourd’hui, le taux de prélèvement relatif aux ordures ménagères de la communauté de communes est bien inférieur à ce qui existait dans les communes.
Une fois le ramassage sélectif mis en place, s’est posé le problème du centre de tri. 29 000 habitants ne permettent pas d’amortir un centre de tri. C’est donc au niveau du pays, avec ses 85 000 habitants, que le centre de tri est géré. Cela va nous permettre de bénéficier de possibilités financières qui viendront en déduction des impôts individuels.
Un objectif : le développement économique
C’est dans ce but que les gens se sont engagés, pour permettre aux jeunes de rester.
Nous avons voulu créer des zones d’activités économiques. C’est un travail de longue haleine. Il a fallu revoir les POS, placer ces zones de telle sorte qu’elles soient utilisables même par temps de gel, etc. Nous avions deux atouts au départ : dans un rayon d’une heure de route, se trouvent Valenciennes ou Charleville avec des usines importantes qui travaillent en flux tendu. Il est donc tout à fait envisageable que leurs sous-traitants s’installent dans notre zone. D’ailleurs, dans un des cantons, de petites usines de sous-traitance travaillent déjà pour l’industrie automobile. Notre second atout est une main d’œuvre très sérieuse en Thiérache.
Mais, actuellement, notre principal problème est d’éviter le départ de certaines usines. C’est le cas d’un important atelier Poulet du Nord qui employait une centaine de personnes. La direction voulait regrouper les ateliers. Or, les employés s’étaient installés en Thiérache, avaient construit leurs maisons. La communauté de communes est parvenue à réinstaller une partie de l’atelier en question sur une de ses zones d’activité. Il est tout récent, aux normes européennes de l’agroalimentaire. Nous n’avons pas pu sauver les 100 emplois, mais nous en avons sauvé 25. Tout cela n’est pas très simple, nécessite beaucoup de temps. Nous avons donc mis en place rapidement une série d’actions pour que les habitants voient ce que pouvait leur apporter la communauté de communes.
Toutes les maisons sont en briques, mais recouvertes de crépis divers. L’ensemble est assez laid. Nous avons lancé une opération » façades « , en partenariat avec les Chambres consulaires, les Bâtiments de France, etc. Nous avons obtenu des subventions de l’Association pour le développement de l’Aisne auxquelles se rajoute une aide de la communauté de communes. Cette opération a influencé les mentalités de façon extraordinaire. Les habitants ont pris conscience qu’ils avaient, dans leurs villages, un patrimoine bâti qui méritait d’être mis en valeur. D’autre part, cette action a fait travailler les artisans.
La communauté de communes a mis en place l’association Tac-Tic dans laquelle elle est largement représentée. Nous l’avons chargée de travailler en particulier à la résorption des ruines. Il est en effet illusoire de vouloir attirer des gens dans un village dont certaines maisons sont en ruine. Une vingtaine de jeunes travaillent pour Tac-Tic dans le cadre de chantiers d’insertion. La communauté de communes a investi dans le gros matériel. L’association Tac-Tic démolit les ruines, récupère les vieux matériaux et les revend, ce qui permet pratiquement d’équilibrer son budget.
Des communes qui conservent leurs responsabilités
La loi dite Chevènement de réforme de l’intercommunalité a été votée le 12 juillet dernier. Les pouvoirs de l’intercommunalité s’en trouvent renforcés. Certains peuvent interpréter cela comme une restriction des attributions de la commune elle-même.
En Thiérache, nous attendons de voir comment cette loi va se concrétiser sur le terrain. Mais, une chose est sûre : nous souhaitons que les communes conservent leurs responsabilités. C’est une question d’organisation de l’intercommunalité. Par exemple, l’assainissement est un gros problème pour nos communes. C’est donc la communauté de communes qui gère la réalisation des études. Elles ont été menées dans toutes les communes. A la suite de quoi, le conseil municipal a du prendre une décision à propos du projet de zonage d’assainissement avec ses conséquences pour la commune. A Leschelles, il a, à l’unanimité, renvoyé le bureau d’études à ses chères études. Nous avons refusé son travail que nous considérions mal fait. Le plan de zonage a donc été refait, puis accepté. Pour ce qui est de la mise en œuvre, c’est l’incertitude car ce plan pose de gros problèmes financiers et techniques à cause de l’habitat dispersé.
En tout cas, la commune n’a pas perdu la possibilité de prendre position.
Beaucoup évoquent l’élection au suffrage direct des représentants des communes à l’intercommunalité. Je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée. Il a fallu des années pour que les gens prennent en compte la Région. Un nouveau suffrage compliquerait encore les choses. Et puis, cette élection poserait la question de la réalité de la vie communale à terme. Avec un tel suffrage, quel serait la place de la commune dans l’intercommunalité ? Si on veut véritablement faire vivre la coopération intercommunale, c’est aux conseillers municipaux d’élire, en leur sein, les délégués à l’intercommunalité. Si au bout de leur mandat de 6 ans, ils n’ont pas rempli leur mission, ils sont remplacés.
Ma plus grande crainte c’est que ceux qui votent des lois ne créent des communes de 3000 habitants. Cela impliquerait la création d’un corps de fonctionnaires certainement plus compétents que ne peuvent l’être des maires de petites communes rurales. Mais dans cette hypothèse, je ne sais pas comment pourra vivre la démocratie. La commune est une école de démocratie. Les gens y règlent des problèmes à leur niveau ; problèmes qui ne peuvent pas être réglés de manière satisfaisante par des fonctionnaires qui se trouvent à un niveau supérieur.
Des élus au service des habitants
La question du « verrouillage » du territoire par les élus dans le but de l’aménager d’une part et de s’y faire élire d’autre part est souvent évoquée comme un frein au développement local. Elle ne se pose pas en Thiérache. D’une part, le périmètre du pays de Thiérache n’est pas le même que celui de la circonscription du député. Et surtout, que ce soit dans le cadre du syndicat mixte, de la communauté de communes ou du pays, c’est notre volonté de régler les problèmes des habitants et de laisser les questions politiques de côté qui nous a rassemblée. Nous avons ainsi eu successivement des présidents RPR et socialistes. Il est un fait que si cet état d’esprit changeait, il y aurait effectivement des problèmes.
Pour préserver la démocratie locale
Si la nécessité de l’échelon intercommunal ne peut être remise en cause, il est essentiel de veiller à ce qu’il n’handicape pas la démocratie locale. Se pose là un problème important d’information.
Nous distribuons un journal 2 ou 3 fois par an dans les foyers des 29 000 habitants. Nous y avons présenté la communauté de communes, l’opération « façades », les projets d’animation culturelle, etc. C’est capital.
Par ailleurs, nous avons toujours cherché à mobiliser le plus grand nombre de gens possible. C’est pour cela que les délégués communaux à la communauté de communes sont au nombre de 132. Pour que chaque commune puisse être représentée et que l’information circule correctement, il fallait avoir un délégué pour 300 habitants. D’ailleurs, suite au récent recensement, nous envisageons de modifier ce ratio pour que ce système continue à fonctionner.
Enfin, dans le cadre du syndicat mixte, pendant des années, nous avons travaillé avec les socioprofessionnels, les associations, etc. Cette habitude de travail va nous aider à constituer et faire vivre le conseil de développement du pays.
La communauté de communes de Thiérache du centre a 7 ans. Il nous reste encore beaucoup à faire, mais nous devions d’abord nous mettre en marche. Je ferais volontiers ma devise de cette phrase d’Oscar Wilde : « il faut d’abord continuer et puis ensuite commencer ».